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Le photographe Yann Stofer

Yann Stofer est photographe indépendant. À la question : "quel personnage célèbre auriez-vous aimé être ?", il nous a répondu "Neal Cassady", compagnon de route de Jack Kerouac. Et sans doute trouve t-on, dans les images de Yann Stofer, quelque chose de ce besoin de voyages, de liberté, et d'errance qui caractérise si bien ce personnage qui inspira le roman Sur la route.
Yann Stofer réalise des photos de modes, des portraits et des reportages. Il travaille pour la presse, le cinéma, ou pour des maisons de disques.

INTERVIEW

- Vos premiers contacts avec la photographie ?
Yann Stofer : Un appareil emprunté à ma grand-mère... Je devais avoir onze/douze ans. Je ne lui ai jamais rendu ; je l’ai cassé. Il était noir, gris et orange, mais j’ai oublié son nom. J'ai terriblement gaspillé de films au début. Il m'aura fallu de longues années avant de comprendre qu'il y avait un diaph et une vitesse...

- Quelles ont été vos premières influences  ?
YS : J'ai commencé sans aucune culture photographique. Et puis les correspondances sont venues petit à petit, lorsque l'on a comparé mon travail à celui de tel ou tel autre artiste. S'intéresser au travail d'autres photographes, c'est un peu effrayant. Tant que tu ne sais pas ce que font les autres, tu gardes une certaine liberté. Dès que tu réalises tout ce qui se fait ailleurs, tu te retrouves submergé. Tu te dis que tout a déjà été fait. C’est important de garder un regard neuf et neutre, une certaine innocence, une forme d’humilité, pour préserver une vision personnelle.

- Et aujourd'hui ?
YS : D’horizons divers, il y a Ed Templeton et sa vision de la culture skate des années 80 (ma culture), des classiques : Stephen Shore, Antoine d’Agata, Martin Parr, Nan Goldin, et, plus jeune : Ryan McGinley. Il y a aussi Julien Magre, un photographe français dont j'ai toujours beaucoup aimé le travail. Il m'a fait verbaliser le mien. Il a éduqué mon regard et mon discours, il a été l'un de mes plus grands formateurs en photographie.

- Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
YS : J’ai commencé la photographie tout simplement parce que l’envie m’en est venue. Et puis c'est une chose avec laquelle je me suis senti à l’aise, où je pouvais m’exprimer, alors je n’avais aucune raison d’arrêter. Je suis autodidacte, je n'ai pas fait d'école de photo. J'ai travaillé sur des plateaux de cinéma, comme régisseur, assistant de mise en scène, et c'est aux côtés des chefs opérateur lumière que j'ai appris l'essentiel en photo, les optiques, la lumière, la notion du cadre. Au fur et à mesure de mes travaux de commandes, pour les maisons de disques, la presse, les séries de mode, la pub, en gérant les contraintes de sujets, de délais et surtout pendant la préparation de mon premier livre, j'ai davantage pris la mesure de ce que représente le travail photographique.
Mais je continue à enchaîner, à côté, des jobs assez différents : ça m'angoisserait de réduire la photo à un travail de commandes. Il faut préserver une certaine légèreté, et se laisser la possibilité de faire des photos pour soi, fixer des souvenirs, raconter des histoires.

- Donc, vous n'êtes pas seulement photographe... ?
YS : J'ai toujours fait beaucoup de photos, sur les plateaux de cinéma quand je travaille, dans mon quotidien, avec mes amis, mes amies, en tant que musicien pendant les tournées avec mon groupe Adam Kesher... je photographie souvent l'envers du décor. Je travaille rarement en studio, et très peu - voire jamais - avec des lumières artificielles, je ne supporte pas d'être enfermé. Pour faire des photos, selon moi, il ne faut pas être obligé de parler. Il faut avoir du temps. Il faut laisser les choses venir naturellement. Avec Adam Kesher, en tournée, je peux trouver cette disponibilité. La route, les avions, les aéroports, les hôtels, on est fatigué, on se couche tard, on est dans un état un peu bizarre, et quand on n'est pas sur scène, on est en permanence dans l'attente. Là, tu peux regarder par une fenêtre, la lumière, et tu vois des choses se passer. 

- Couleur ou N&B ?
YS : Ce qui compte, avant tout, c'est l’esprit du moment, les couleurs de la scène, la lumière, le sujet, l'envie, et parfois aussi les contraintes techniques.
Le N&B fonctionne bien avec les sujets féminins, les moments d'intimité. Le N&B ajoute une distance, atténue un peu la sensation de proximité avec les images, c'est plus doux, plus intemporel. La couleur a quelque chose de plus immédiat, et de plus cru aussi. Il y a des choses qui sont plus évidentes à voir en couleurs. Je n'aime pas trop le flashy ; je préfère les camaïeux, et les couleurs désaturées.

- Argentique vs numérique ?
YS : J'ai longtemps pensé que si l'argentique disparaissait, j'arrêterais la photo. Ce n'est sûrement plus vrai aujourd'hui. Je continuerais, parce que j'ai quand même envie de faire des photos... Mais tant que j'ai le choix, j'utilise des boîtiers argentiques. La plupart du temps des appareils des années 80/90 et pour la presse, généralement, un 5D numérique. Un aspect positif du déclin de l'argentique, s'il faut en trouver un, c'est que cela permet d'approcher des boîtiers encore inabordables il y a dix ans. Tu peux avoir une chambre pour 500 euros par exemple. Et puis il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre une photo faite en numérique ou en argentique... Finalement ce qui compte, c'est la photo.

- Et la post-prod ?
 YS : Je préfère, autant que je peux, ne pas trop retravailler mes images. L'option du film, N&B, couleur, sa sensibilité, sa chimie, décider de le pousser ou pas, le choix de l'optique, etc. c'est la cohérence de tous ces partis-pris - en amont, qui fait que je réaliserai la photo que je souhaite. Je fais systématiquement numériser mes films, et j'y apporte de légères retouches, essentiellement en chromie. mais pas beaucoup plus, et j'essaie de garder la même conduite avec les images entièrement numériques. Le développement d'un fichier raw, en passant par Lightroom, Photoshop, ou autre, c'est génial, mais ça peut vite donner beaucoup trop de directions. Et c'est un tout autre travail. Je suis content quand le labo me propose des directions vers lesquelles je n'irais pas forcément, mais j'aime bien l'idée de conserver une touche un peu brute à mes images.
 

Récits de quelques shootings...

- Le plus dingue ?
YS : Un séminaire pour une grande marque de luxe française. 338 filles, complètement ivres, à Monte-Carlo. Pendant une semaine…

- Le plus cauchemardesque ?
YS : Ma première série de mode. La commande était en rapport avec ce que j'ai l'habitude de faire, mais j’avais quand même loué des lumières pour faire comme les vrais photographes (alors que je ne savais pas m’en servir). J’étais tétanisé à l’idée de shooter trois mannequins que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam (alors que d'ordinaire, mes sujets sont mes proches). Et j’avais une gueule de bois carabinée... Finalement, je m’en suis sorti, la série a bien fonctionné et m’a fait rebondir sur d'autres commandes.

- Le plus trippant ?
YS : Le behind the scene d’une publicité, à Paris, en extérieur. Ce projet était programmé depuis déjà deux mois. Mais au dernier moment, j’ai appris que le photographe qui réalisait cette pub était... Martin Parr. J’allais donc passer trois jours non stop avec lui. Le premier jour, à 5 heures du matin, quand je suis allé voir son agent de chez Magnum, je n'en menais pas large. Une demi-journée plus tard, Martin Parr s’amusait avec mes appareils photo, faisait des portraits de moi, et moi de lui… j’étais comme un gamin. C’était super cool.

- Qu’est-ce qui vous exalte le plus dans la photographie ?
YS : L’attente, alors que je suis extrêmement impatient.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
Yann Stofer : Chauffeur de taxi.

- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
YS : Chauffeur de taxi.

- Quelle est votre drogue favorite ?
YS : Euh... sérieusement ?

- Qu’est-ce qui vous met de bonne humeur ?
YS : Quand j’entends ma petite amie au téléphone m’interrompre pour donner mon adresse au chauffeur du taxi dans lequel elle vient de monter.

- Qu’est-ce qui vous déprime, au contraire ?
YS : Quand elle me quitte.

- Quel bruit (ou quel son) aimez-vous faire ?
YS : Grrrrrrrrrr… !

- Quel bruit détestez-vous ?
YS : Les mobylettes kitées.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
YS : Michael Jackson.

- Quel est votre juron favori ?
YS : "P’tain !"

- Quel don de la nature aimeriez-vous avoir ?
YS : Le sixième sens féminin.

- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
YS : Un photomaton de mon frère et moi.
 

SI VOUS ÉTIEZ…

- Une couleur ?
YS : Le bleu.

- Une chanson ?
YS : Wanna Be Startin’ Something, de Mickael Jackson, le jour et Tourette's de Nirvana, la nuit.

- Un objet ?       
YS : Je ne sais pas, mais dans la cuisine.   

- Un animal ?
YS : Un ours polaire.   

- Un parfum ?       
YS : L’herbe fraîchement coupée.   

- Un personnage célèbre ?  
YS : Neal Cassady.

- Un alcool ?   
YS : Un Pessac-Léognan.
 

INTERVIEW « RÉFLEXE »

- Que faites-vous de vos yeux, lorsqu’ils ne sont pas derrière un objectif ?
YS : Eux, ils observent toujours. Ce sont des mains dont il faut parler.

- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
YS : Le sujet, la lumière, l’endroit, ou l’un des trois. Mais le plus souvent les filles.

- Devant quel sujet ne pouvez-vous pas rester objectif ?
YS : Les filles.

- Quel est votre boîtier fétiche ?
YS : Le Nikon F3, mais c’est en train de changer…

- À quoi sert un photographe ?
YS : À voir une vie que l’on n’a pas.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Yann Stofer & Processus

- Pourquoi avoir choisi le laboratoire Processus ?
Yann Stofer : Je cherchais une alternative à un gros laboratoire parisien qui me faisait plus penser à un élevage de poulets en batterie qu’à un interlocuteur capable de m’aider dans mon travail. Un photographe m’a alors vanté les mérites de Processus...
C’est un laboratoire professionnel qui propose tous les services dont je peux avoir besoin, et plus. Délais, tarifs, conseils et toujours de la considération. Et surtout, ce qui est primordial pour un photographe avec son labo : la confiance.
 

ARRÊT SUR IMAGE
De Yann Stofer

Le photographe Yann Stofer décrypte pour nous l'une de ses images.
Strasbourg, 28 février 2009
Yann Stofer : J'ai fait cette image pendant une tournée avec mon groupe, Adam Kesher, sur l'autoroute qui nous menait à Strasbourg, depuis le siège avant d'une voiture.
Partir permet d'exciter ton oeil. Être ailleurs - et peut importe où, redonne l'envie, l'énergie, la nécessité de faire de nouvelles images.
Ici, j'aime particulièrement l'attitude du personnage :  son regard timide, son allure juvénile, la retenue de son geste.
Beaucoup des images que je fais sont le fruit de ce genre de circonstances : un lieu, une attente. La liberté des voyages d'un côté, la découverte d'espaces nouveaux. De l'autre, la contrainte d'un moment bloqué, un trajet en voiture par exemple, de longues heures d'attente, et au final, quelque chose se passe.
Je trouve que cette image vieillit bien : la lumière est belle, le cadre fonctionne. Il n'y a pas de mise en scène. Il s'agit d'un moment volé, difficile à dater, difficile à situer, et qui laisse libre court à beaucoup de choses.
Pourtant, la date de la prise de vue est importante : le soir-même, je célébrai mon anniversaire, dans le bruit, l'excès, la démesure.
Là, on se place dans un moment d'entre-deux, où les sentiments ne s'expriment qu'à demi-mot, avec pudeur.

Boîtier : Nikon F3 24x36
Film Kodak, Portra, 400NC
Aucune retouche

Interview : Sandrine Fafet
(Novembre 2011)