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La photographe Claudine Doury

Claudine Doury est une photographe née à Blois et basée à Paris. Elle reçoit le prix Leica Oscar Barnack en 1999, le World Press en 2000 pour sa série Peuples de Sibérie et, en 2004, le prix Niepce pour l'ensemble de son travail. Sa première monographie, Peuples de Sibérie, a été publiée en 1999. Depuis, Claudine Doury a publié Artek, Un été en Crimée (2004), Loulan Beauty (2007) et Sasha (2011). Elle est représentée par la Galerie Particulière à Paris, Box Galerie à Bruxelles, et elle est membre de l'agence VU'.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Claudine Doury : Au collège, grâce à un professeur de dessin, Filipe Martinez. Il était lui-même photographe et m’a offert mon premier appareil photo, un Lubitel.
Plus tard, après des études de journalisme, je suis entrée à l'agence Gamma, comme picture editor.
Ensuite, je suis allée travailler à New York, à l'agence Contact Press Image de 1980 à 1982. Et à mon retour en France, je suis entrée au journal Libération, aux côtés de Christian Caujolle.

- Et le grand saut... ?
CD : Après six années passées à Libération comme picture editor, je me suis sentie prête à passer de l’autre côté du miroir. J’ai très vite commencé à travailler pour Libération. J'ai réalisé, pour le journal, mes premières commandes sur les grandes manifestations infirmières de 1989, que je suivais, chaque jour, dans les rues de Paris.
J'ai également eu la chance de travailler pour L'Autre Journal, de Michel Butel, de 1989 à 1991. Un très beau journal, à mi-chemin entre une revue et un livre de photo, volontairement en marge de l'actualité. Là-bas, on nous offrait la liberté de partir où l'on voulait, de rapporter un sujet de son choix. Un luxe, au regard de ce que propose la presse aujourd’hui.
J'avais décidé de partir en Russie. Je voulais aller à Sakhaline, cette île russe, en face du Japon, sur les traces de Tchékhov, parti en 1890 mener une enquête sur le bagne et la déportation. J'ai retrouvé sur place les négatifs de son périple, et j'ai ainsi publié le voyage de Tchékhov en images. J'avais, de mon côté, réalisé un « portrait » de Sakhaline, en couleur, en écho à celui de Tchékhov, pris un siècle plus tôt en noir & blanc.

- Le territoire russe fut longtemps l'une de vos destinations privilégiées ?
CD : L’Union Soviétique avait été jusqu'alors un territoire interdit. Mais au moment où je suis devenue photographe, le mur tombait. Dans son dernier livre Limonov, Emmanuel Carrère écrit : « La Russie est pour moi un ailleurs, l’endroit de l’aventure et de la démesure. C’est un territoire plus imaginaire que réel ». Rétrospectivement, je pense que c’est cet aspect fictionnel qui m’a attiré et m’attire toujours là-bas.
Mon premier projet photographique Peuples de Sibérie a vu le jour grâce à une commande sur le fleuve Amour en extrême orient russe. Là, j’ai découvert, dans une bibliothèque, la photo ancienne d’une femme et de son enfant, et j'ai immédiatement pensé aux photographies des Indiens d’Amérique d’Edward Curtis. Cette femme était russe et appartenait au peuple Evène. Je voulais laisser une mémoire photographique des peuples méconnus de Sibérie. J’ai alors décidé de faire le portrait de ces minorités, les peuples de Sibérie, cousins des Indiens d'Amérique. De 1996 à 1998, j'ai voyagé du Kamchatka à la Tchoukotka, du fleuve Amour au lac Baïkal et dans la péninsule du Yamal.

- Après la Sibérie, l'Asie Centrale, pour votre ouvrage Loulan Beauty...
CD : Je voulais explorer l’Asie Centrale comme ex-territoire soviétique et fixer les traces de cet empire en voie d’extinction, le mélange des espaces russes orientaux et de sa culture spécifique. J’étais aussi très inspirée par le cinéma d’Asie Centrale, spécialement par les films poétiques du cinéaste kirghize Aktan Abdykalykov.

- Loulan Beauty, ce titre est magnifique, d'où vient-il ?
CD : Loulan Beauty est une momie de 4000 ans retrouvée dans les sables du Lob Nor en Chine occidentale et nommée ainsi en raison de sa grande beauté. Lorsque je l’ai découverte, dans un musée à Ürümqi, j'ai été étonnée de constater que les jeunes filles de la région, 4000 ans plus tard, portaient toujours les mêmes nattes.

- Vous voyagiez avec votre fille Sasha. Être mère et photographe-reporter, c'est donc compatible ?
CD : Voyager avec un enfant a été pour moi davantage une chance qu'un soucis. Souvent, les étrangers s'aventurant jusque dans ces régions, comme dans le grand nord tchouktche par exemple, y venaient seuls : journaliste, scientifique, ils répondaient à des missions ponctuelles. Arriver en famille rend immédiatement plus forts les liens avec les gens, Sasha recevait des tas de cadeaux (lunettes en os de morse, barque en peau de phoque, etc..) que je lui garde précieusement. Je parle un peu russe, également. Parler la langue permet de communiquer directement, de se donner, se raconter, et pas seulement de prendre. Il y a un échange très fort qui se passe. Dans toutes les régions que j'ai parcourues avec Sasha, j'ai toujours choisi la ville ou le village le plus petit possible au départ, pour bien connaître les habitants, instaurer le dialogue. Travailler vraiment avec eux. La présence de ma fille me permettait de rester auprès d'elle, et favorisait les rencontres et la confiance.

- Avec votre livre Artek, un été en Crimée vous vous êtes ensuite intéressée à l'adolescence.
CD : Je voulais rendre compte du plus grand camp de pionniers d’Union Soviétique, Artek, avant qu’il ne se transforme. L’Union Soviétique venait de s'effondrer et je voulais fixer ce monde clos qui disparaissait. J'ai suivi les activités de ce gigantesque camp de vacances qui accueillait 5000 enfants par mois. En 2002 et 2003, j’y suis retournée pour y continuer ma propre histoire. J’étais alors davantage intéressée par les temps morts des adolescents et leurs états d’âme.

- Aujourd'hui, vous êtes passé à autre chose... ?
CD : Maintenant je voyage moins et je travaille différemment. Je suis davantage centrée sur une thématique, et une forme plus sérielle. L'adolescence reste l'un des thèmes majeurs de mon travail (je ne sais pas si j'en aurai fini un jour avec cet âge, ce carrefour des possibles). J’avais commencé un projet sur les rites de passage à l’adolescence chez les jeunes filles aux États-Unis, en Europe et en Russie, (Sweet Sixteen, Quinceaneras, bals des débutantes, etc…) Pendant ce temps ma fille quittait doucement l’enfance. C’était en 2007, Sasha avait 13 ans. L’évidence m’est alors apparue de photographier non plus ces rites socialement orchestrés mais plutôt la face cachée de cette transition, ses jeux secrets. J’ai eu envie de raconter sous la forme d’un conte photographique la fin d’enfance de Sasha.

- Quels sont les photographes qui vous ont influencée ?
CD : Robert Franck, que j’ai découvert à 20 ans à New York et qui m’a alors bouleversée.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- À quoi sert un photographe ?
CD : À révéler des mondes inconnus.

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
CD : Apicultrice ou menuisier.

- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
CD : N’importe quel métier répétitif.

- Quelle est votre drogue favorite ?
CD : Le champagne.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
CD : Les autres.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous déprime complètement ?
CD : Les autres aussi parfois.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
CD : Leonard Cohen, parce que je rêve de le photographier depuis longtemps.

- Quelle est la plante ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarnée ?
CD : Une cigogne.

- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
CD : Le Journal de Tarkovski qui est depuis des années sur ma table de chevet.

- À quoi vous sert l’art ?
CD : À vivre mieux.
 

SI VOUS ÊTIEZ

- Une couleur ?
CD : Le vert.

- Une chanson ?
CD : "Take this waltz", de Leonard Cohen.

- Une saison ?
CD : Le printemps.

- Un parfum ?
CD : L'odeur de l'herbe.

- Un sentiment ?
CD : La mélancolie.

- Un(e) artiste ?
CD : Marlène Dumas.

- Une oeuvre d'art ?
CD : Le miroir, d'Andrei Tarkovski.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Claudine Doury & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
CD : Ce que j’apprécie chez Processus c’est l’accueil et la qualité du travail. De jeunes photographes m’avaient parlé de Processus car ils avaient cherché des labos professionnels de qualité avec des prix abordables, et c’est effectivement ce que j’y ai trouvé, la convivialité en plus, et il n’y en a pas tant que cela sur Paris...
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Claudine Doury

Ouzbékistan, 2004. Loulan Beauty
CD : J’ai rencontré Malika lors de mon voyage en Asie Centrale. Elle vit à Samarcande et, comme beaucoup d'autres enfants ousbeks, elle est élevée par ses grands-parents. Elle n’a pas vu depuis bien longtemps ses parents qui, partis chercher du travail en Corée du Sud, ne reviennent que rarement. Il y a, dans les yeux de cette enfant, une gravité qui me touche. Elle n'est ni dans la candeur ni dans la séduction, et, comme si elle jugeait le monde des adultes, elle dégage une maturité en décalage avec son âge.
La photo a été faite avec un Leica M6 et un film Portra 400 ASA.


Interview : Sandrine Fafet
(Octobre 2011)