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Le photographe Roberto Badin

Roberto Badin est né à Rio de Janeiro au Brésil ; il vit et travaille en France depuis près de vingt cinq ans.
Photographe de nature morte depuis de nombreuses années, il est passé maître dans l'art de la composition et du cadrage. De ses images, savamment agencées, se dégage également une certaine spontanéité. Elles semblent nous raconter une histoire. À la question : « Si vous étiez un artiste ? », il a répondu : « L’architecte Oscar Niemeyer ». Nous vous proposons donc ce mois-ci de découvrir la personnalité de ce photographe qui aime préciser que ce qui le passionne le plus dans l’art du « Still Life » - la Nature Morte - c’est bel et bien la nature et la vie.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Premier contact avec la photographie ?
Roberto Badin : J’ai découvert la photo très jeune. Je suis né au Brésil, et à l’époque, je faisais beaucoup d’aviron ; je devais me lever tous les jours vers quatre ou cinq heures du matin. Et tous les jours, je voyais le soleil se lever - sauf le dimanche où je n’avais pas de régates. Et vers quatorze ans, j’ai voulu photographier ces magnifiques levers de soleil que je contemplais tous les matins. J’ai emprunté un boîtier et je suis parti faire des photos. Mais je n’y connaissais absolument rien. L’appareil a fini par se bloquer. Je l’ai manipulé dans tous les sens sans comprendre. En fait le film était terminé, tout simplement ! J’ai finalement appuyé sur le bouton de rembobinnage sans le vouloir. Et j’ai fait une double exposition. Lorsque j’ai développé le film, j’ai découvert deux soleils ! Là, je me suis dit que c’était vraiment fascinant ce que l’on pouvait faire avec un appareil. Et c’est à ce moment très précis que j’ai décidé de faire de la photographie.
J’ai travaillé quelque temps dans un labo. J’ai d’abord fait les développements couleur, E6 et C41 - dans le noir complet toute la journée. Ensuite j’ai fait des tirages. Et là, deuxième grosse découverte : tu vois apparaître une image ! Et puis j’ai commencé à travailler en N&B par hasard, en remplaçant un laborantin : ce fut la deuxième révélation.
J’étais très jeune, mais j‘étais vraiment sûr à 200% que la photo serait toute ma vie.

- C’est une révélation, et cette passion pour la photographie ne vous quittera plus ?
RB : Je ne pourrais pas faire autre chose. Et j’ai la chance d’avoir compris cela très tôt.
Mais les débuts ont été vraiment difficiles. J’ai dû m’opposer à mon père, grand patriarche, qui voulait que son fils aîné reprenne son business, à ses côtés. La photo, pas question. Mais moi, je ne voulais pas de cette vie-là. Je suis donc parti de chez mes parents, j’ai beaucoup voyagé, j’ai vécu en Argentine, aux USA, et j’ai atterri en France il y a plus de vingt cinq ans.
Quand je suis arrivé à Paris vers 1989, je ne parlais pas français. J’avais juste quelques dollars en poche. Mais ce dont j’étais sûr, en revanche, c’était que j’allais faire ma vie ici. Je voulais travailler dans la photo. Je ne voulais pas être serveur dans un bar, où ce genre de choses en attendant. J’ai dû frapper aux portes des studios photos ; c’était dur, il a fallu s’accrocher.

- Vous êtes donc totalement autodidacte ?
RB : J’ai toujours chez moi ce manuel, acheté à l'époque au Brésil : « Comment devenir photographe » ! Un livre extrêmement technique qui m'a beaucoup aidé, qui m’a donné de bonnes bases. J’ai été également assistant de très bons photographes de nature morte. C’est comme cela que j’ai appris. Et cela représente des heures, des jours et des années d’effort.
Quand je suis arrivé en France, je n’avais pas d’argent pour faire des photos. Mais j’avais au fond de ma poche un cadre de diapo 24x36 : avec ce petit objet, j’ai réalisé des milliers de photos imaginaires dans la rue. Je cadrais, je visais, et j’ai ainsi passé des rouleaux et des rouleaux imaginaires. Aujourd’hui, avec le numérique, tout le monde peut faire des photos avec un téléphone. Avec l’argentique, sans argent, c’était plus compliqué.
La photographie est un métier artistique qui demande beaucoup de détermination et d’obstination.

- Pas d’école de photos ?
RB : J’aurais aimé faire une école - il y avait Louis Lumière à Paris, Vevey en Suisse. Mais, soit on a les moyens d’y aller, soit on travaille. Moi, j’ai eu la chance de travailler avec des photographes qui m’ont appris les bases de la lumière, des photographes de Nature Morte, notamment. J’étais très admiratif de ce savoir-faire. Une connaissance qui manque un peu aujourd’hui. On ne peut pas faire un métier sans en maîtriser la technique. Après, on peut se permettre de l’oublier. Je pense même que la technique doit s’effacer au profit de l’expression : intégrer de la 3D dans les images, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui, ne fait pas tout. Le traitement croisé E6 en C41 à l’époque de l’argentique, les débuts de Photoshop en post-prod, tous ces coups d’éclat techniques ont, en leur temps, changé les méthodes de travail. Tout le monde croit que c’est magique. Mais la vérité, c’est qu’il faut avoir un OEIL. 

- Quelles ont été vos influences artistiques ?
RB : Des photographes comme Javier Vallhonrat, Harry Callahan, William Eggleston ou encore Irving Penn sont certes des références absolues pour moi. Mais je ne suis pas arrivé à la photo ne en regardant que des photos. J’ai vécu sous la dictature au Brésil. Jusque dans les années 80 - lorsque je découvre la photo - on n’avait pas un accès aussi facile à l’information venant de l’étranger que le permet aujourd’hui internet. Mes influences viennent plutôt de l’architecture. Je suis très admiratif des grands architectes, notamment ceux qui, dans les années 60 au Brésil - Oscar Niemeyer par exemple, ont contribué à renouveler l’architecture moderne. Mon inspiration s’est également beaucoup nourri de cinéma - un goût pour le narratif que l’on retrouve dans mes images. Rien d’étonnant donc, si, aujourd’hui, je réalise aussi des films.

- Vous avez appris seul et l’on sent qu’aujourd’hui encore, vous continuez d’avancer ?
RB : Oui, je suis soucieux d’apprendre toujours davantage. Tout m’intéresse. J’aime me lancer dans des projets différents. Il faut rester curieux. La curiosité, c’est l’énergie qui permet de tenir dans un milieu artistique.

- Un souvenir de shooting parmi d'autres ?
RB : Chaque shooting a son histoire, bien sûr, mais l'un d'eux résume sans doute mieux que tous les autres mon état d'esprit.
Je devais aller, pour la Maison Hennessy, réaliser des images de leur cognac. Une prise de vue très importante, mais pour laquelle, cependant, aucun “Weather Day” n'avait été prévu par la prod. J'avais projeté de capter les premiers rayons du soleil - qui devait se lever ce jour-là à 6h15 précisément. J'ai fait lever toute mon équipe à 4h00 du matin. Et tout le monde râlait… parce qu’il pleuvait des cordes ! On me disait : « Mais Roberto ! C’est foutu  ! Oublie cette photo ! ». J'ai refusé. J'avais toute l'équipe contre moi - gentiment bien entendu. On a déplacé trois camions avec tout le matériel, stylistes, etc. Talkies-walkies parés. À 5h30, on était sur place. Prêts. Tout le monde était de mauvaise humeur. Il pleuvait toujours. Mais à 5h45, il s’arrête de pleuvoir. Alors je dis : « On y va ! ». On installe le plateau. Il y a de la boue partout, on doit tout protéger avec des sacs poubelle. On place la bouteille dans l’axe prévu. Mais tout cela dans le noir, bien sûr, puisqu’il fait encore nuit… Et puis soudain, le soleil se lève. Je fais les images. Quelques gouttes commencent à retomber. On remballe le matériel en vitesse. L'image finale est sublime, parfaite et sans artifice. On peut remercier le Bon Dieu franchement ! Il y a eu très peu de retouches en post-prod sur l’image, juste quelques petits détails subtils. Le soleil est pile au bon endroit. C'est incroyable. Comme quoi, il est vraiment important d’y croire jusqu’au bout.

- Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans la photographie ?
RB : Pouvoir transmettre une émotion.

- En tant que photographe, diriez-vous que c’est, de vos cinq sens, la vue qui vous procure le plus d’émotions ?
RB : Bizarrement non. Je pense au contraire que c'est l'odorat qui est le plus à même de nourrir l’imaginaire, davantage que la vue. Il est le seul capable de nous transporter loin dans notre mémoire, de nous faire revivre si intensément un souvenir .

- Diriez-vous que vous n’imaginez pas vous passer de prendre des photos ? Est-ce une activité vraiment vitale ?
RB : J’aimerais pouvoir prendre des photos jusqu’à mon dernier souffle. À côté de cela, l’activité réellement vitale pour moi, c'est d’être avec mes proches.

- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
RB : Je ne m’arrête jamais. Mes yeux sont partout - sauf quand je dors. Mais… je dors très peu ! Cela fait quasiment un quart de siècle que je fais ce métier, et je n’ai pas vu passer les années.

- Parmi la génération de demain, y a-t-il des photographes dont vous suivez déjà le travail ?
RB : À vrai dire non, pas vraiment, je trouve malheureusement que tout se ressemble aujourd’hui. Peut-être est-ce parce que l’accès à l’information s’est mondialisé ? J’ai la triste impression que tout le monde se regarde et veut se montrer à peu près toujours de la même façon. Il y a de moins en moins de particularités et on ne prend plus autant le temps qu’avant de s’arrêter et de construire son image.

- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
RB : Le même que j’ai donné à ma fille de seize ans qui m’a demandé récemment un appareil photo argentique. Je veux qu’elle garde la fraîcheur de son regard, qu’elle s’amuse, qu’elle prenne du plaisir comme moi j’en prends encore aujourd’hui, et qui fait que j’aime toujours autant ce métier. Mais en premier lieu, il faut apprendre la technique, acquérir un savoir-faire, des bases solides, précises. Ensuite, il faut tout oublier, improviser, se laisser surprendre. Seul le regard compte alors. Mais il faut pratiquer tout le temps. La photographie est comme toute relation affective, il faut savoir la nourrir et se nourrir en permanence, pour maintenir l’envie et la curiosité. C’est cette énergie-là qui permet de durer.

- Argentique / numérique ?
RB : Ce sont deux façons différentes de travailler, chacune a ses avantages et ses inconvénients.
L’argentique offrait une texture d’image incomparablement plus belle, plus profonde que le numérique - malgré les progrès réalisés ces dernières années.
Le shooting était plus lent et semblait plus introverti que le shooting en numérique où, actuellement, tout le monde voit en temps réel ce qui se passe et où chaque personne de l’équipe veut donner son opinion sur l’image. Bref, où tout le monde devient DA ! On travaille plus vite en numérique, mais ce n’est pas toujours positif. Il faut apprendre à s’enfermer dans une bulle, et cela demande beaucoup de concentration.
En revanche, le numérique permet à un plus grand nombre de photographes de s’exprimer. La photo est devenue un moyen de communication en soit. On le voit actuellement avec Instagram par exemple : les gens n’envoient plus de message, ils envoient une image. C’est intéressant aussi, je suis pour la photographie, quelle qu’elle soit. En revanche, en faisant trop, on risque de faire moins bien. Actuellement, on est peut-être devenus un peu trop photovores.
Ceci dit, être photographe professionnel n’est pas à la portée de tout le monde, même si les moyens techniques le sont. Le regard, l’oeil, restent ce qu’il y a de plus fondamental. Et être photographe, c’est aussi savoir gérer une équipe, répondre à un travail de commande, etc. Cela demande une grande rigueur de travail.
Il faut vivre avec son temps et je ne regrette pas l’argentique. J’aurais aimé avoir le numérique, à mes débuts, pour faire mes photos imaginaires…. Et aujourd’hui, ma fille de seize ans me demande un appareil argentique… On verra.  

- Pouvez-vous expliquer votre approche de la photographie, et votre manière de travailler ?
RB : Je travaille de manière très instinctive. En amont, je prépare les projets avec minutie, parfois sous forme de story-boards et de layouts très précis, très élaborés. Mais au moment de la prise de vue, je prends de la distance, et je laisse l’instinct reprendre le dessus. Au moment de la post-prod, je reviens à nouveau à des méthodes de travail très pointilleuses.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
RB : Architecte, je crois.  

- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
RB : Tout ce qui touche de près ou de loin à la guerre.

- Quelle est votre drogue favorite ?
RB : Le travail, sans aucun doute.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
RB : Paul Smith a dit « Inspiration comes from everywhere ». C’est plus vrai qu’on ne l’imagine.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
RB : La tristesse. Voir les gens souffrir de la faim, où à cause des conflits engendrés par des fous capables des pires horreurs au nom de leurs idées absurdes.

- Quel bruit, quel son, aimez-vous ?
RB : Le vin qui coule lentement dans le verre.

- Quel bruit détestez-vous entendre ?
RB : Les pleurs.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
RB : Nelson Mandela, le Dalai Lama et… Oscar Niemeyer.

- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
RB : « Porra »...

- Quel don de la nature aimeriez-vous posséder ?
RB : Voler comme un oiseau.

- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
RB : Je garde toujours quelques objets sur moi. Par exemple un petit dessin que ma fille a fait quand elle avait tout juste cinq ans.

- En quoi aimeriez-vous être réincarné ?
RB : Un oiseau qui vole très haut, un rapace, un aigle.

- À quoi vous sert l’art ?
RB : Me procurer des émotions.

- À quoi sert un photographe ?
RB : À transmettre des émotions.
 

SI VOUS ÉTIEZ


- Une couleur ?
RB : Le bleu.

- Une chanson ?
RB : Slow Lynch par Sébastien Tellier, utilisée dans l'un de mes premiers films.

- Un objet ?
RB : Des lunettes.

- Un animal ?
RB : Un aigle.

- Un parfum ?
RB : Quelque chose de frais, de matinal, avec des notes d'agrume.

- Un sentiment ?
RB : Le bonheur de retrouver sa famille et ses amis.

- Un artiste ?
RB : L'architecte Oscar Niemeyer, mon idole.
(Pouvoir lui ressembler de près ou de loin serait absolument génial)

- Un alcool ?
RB : Un vin qui vieillirait bien.

- Une œuvre d’art ?
RB : Un dessin au crayon, griffonné sur un coin de table, et que l'on garde toujours.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Roberto Badin

Exposition Lady Dior As Seen As, en 2012

RB : Il y a quelques années, la Maison Dior a donné carte blanche à soixante-dix artistes contemporains du monde entier, photographes, sculpteurs, plasticiens, pour livrer leur propre vision du sac emblématique Lady Dior. Une exposition itinérante qui a déjà été présentée à Tokyo, Shanghaï, Milan, Hong Kong, etc. Au Brésil également.
J’étais très fier que Dior me propose de participer à ce projet, car cette image représente parfaitement ma façon de travailler. Je l’ai construite comme la séquence d'un film. J’ai d’abord créé un layout complet avec tous les éléments principaux de la composition et au moment du shooting, comme toujours, j’ai laissé l’instinct reprendre le dessus sur l’aspect purement technique.
Cette image synthétise de façon optimale l’approche narrative de mon travail.
 

UN PHOTOGRAPHE  + UN LABO
Roberto Badin & Processus


- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
RB : J'ai connu Processus par l’intermédiaire d’un de mes clients qui voulait travailler avec le labo.
Depuis, pour tous mes projets, chaque fois que cela est possible, je travaille avec Processus. Marie-Laure parle le même langage que moi : la précision, la souplesse et le professionnalisme. L'ambiance avec les retoucheurs est joyeuse et leur travail est rigoureux. Il existe une certaine obstination du « travail bien fait ». Processus est pour moi un partenaire idéal.



Interview : Sandrine Fafet
(Novembre 2016)