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Le photographe Philippe Garcia

Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris et photographe depuis 1990, Philippe Garcia compose ses images à la manière d’un peintre dadaïste ; pieds de nez abordés avec la malice d’un Magritte ou d’un Chirico, où se mêlent références surréalistes, graphisme pop, et iconographie rétro. Cet esprit facétieux, féru d’architecture, donne à voir des images composées comme des tableaux de maîtres, recouverts de cette pointe esthétique et de cette plasticité mi-sérieuse mi-amusée. À la question :  « Si vous étiez une chanson ? », il nous a répondu « Disco 2000, de Pulp », et « Si vous étiez un artiste ? », il nous a répondu : « Picasso » : le décor est planté.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Premier contact avec la photographie ?
Philippe Garcia : Étudiant, j’étais inscrit aux Beaux-Arts de Paris, mais je dois avouer que je m’ennuyais un peu. Je me suis rendu compte que j’avais besoin de réaliser des projets communs, que j’avais envie de partager des idées. Pourtant, loin de moi encore l’idée de faire de la photographie. Je cherchais à intégrer les Arts Déco pour devenir directeur artistique dans la pub.

- Le déclic ?
PG : Des amis - parmi lesquels Christian Fevret notamment - qui venaient de former un fanzine de musique et qui m’ont proposé de réaliser quelques portraits pour leurs articles, avec mon petit Olympus OM10. Et j’ai beaucoup aimé ce travail. J’ai ensuite rencontré Patrick Messina, qui faisait Louis Lumière et qui cherchait des modèles. Tout cet univers me plaisait vraiment. Jusqu’alors, j’avais plutôt en tête le cliché du photographe de mode, ce qui ne m’intéressait absolument pas. En revanche, avec une chambre photographique, par exemple, j’ai compris que l’on pouvait poser un cadre, et construire son image à l’intérieur de ce cadre - et pas simplement faire « clic-clac ». Je me suis dit que c’était plus rapide que la peinture et moins salissant… ! Mais surtout, la photographie était un vrai travail d’équipe. Je savais que je ne voulais pas être peintre, métier trop solitaire pour moi.

- Comment êtes-vous devenu photographe ?
PG : Sur le tas, avec toute la bande d’amis qui montaient ce fanzine - Les Inrockuptibles ! Je n’obtenais pas forcément les meilleures sessions - Renaud Montfourny et Eric Mulet restaient les vrais photographes du magazine à ses débuts - mais, avec Patrick Messina, on a pu se faire la main pendant quelques années mémorables. Puis j’ai senti qu’il était important d’apprendre la technique. Le « lâcher prise » c’est bien, mais il faut quand même, à mon avis, au départ, avoir acquis la base en technique. Je pars de ce principe. Comme Picasso, par exemple. Je suis alors devenu assistant du photographe de nature morte Brice Agnelli, qui travaillait à la chambre 4x5. Je faisais sans cesse des allers-retours du studio au labo sur mon scooter. J’ai rencontré Marie-Laure à cette époque, sur une prise de vue pour Télérama. Au départ, le 163 rue de la Roquette était un studio de photo qu’elle louait. J’en ai été l’un des premiers locataires !

- Vos premières commandes ?
PG : Brice Agnelli me laissait utiliser son studio pour mon travail personnel, et j’ai beaucoup appris. J’y ai réalisé par exemple un portrait d’MC Solaar pour Les Inrocks.
Dans ma génération, les années 90, (celle d’après Brice Agnelli, photographe des glorieuses années 80), on était tout de suite plongé dans le vif du sujet ; pas question de se laisser aller. La flambe des années 80 était terminée : si tu avais besoin d’un palmier, tu n’allais plus aux Caraïbes. On te commandait un palmier, que l’on te faisait livrer au studio. Tous les week-ends, je préparais mon book, je travaillais, je faisais des images, des images.

- C’est le conseil que vous donneriez à un jeune photographe ?
PG : Oui : travailler. Le temps de la formation, dans une carrière, est finalement très court. Il faut s’imprégner d’images, être curieux de tout, tout regarder, tout le temps. On a deux yeux, il faut s’en servir. Quand je dis bonjour à des amis, ils me demandent : « Mais, qu’est-ce que j’ai ? » : je regarde tout, je vois tout. On doit être des scanners. Et cela se travaille. Il faut aussi avoir des choses à dire. Et cela aussi se travaille. Quand j’ai une série d’accessoires à réaliser, par exemple, ou une couv pour Les Inrocks, je vais m’installer à mon bureau, je réfléchis, je prépare des croquis. Mes idées viennent de tout ce que je vois, de ce que j’observe, tout au long de la journée. Lorsque j’envoyais mes croquis à Maria Bojikian - du service photo des Inrocks, et qu’elle les affichait dans son bureau derrière elle ; j’étais flatté !
Et puis il faut apprendre la patience quand on démarche et que l’on expose son book : ceux qui vous reçoivent voient passer quotidiennement des portfolios. Il faut savoir les étonner.

- Argentique vs numérique ?
PG : J’ai commencé à travailler à la chambre, au polaroïd, et au compte-fils pour vérifier le point. L’argentique est une bonne école, mais je ne suis pas vraiment attaché au film, au grain de la pellicule : ce que j’aime, ce sont les images. Alors peu importe l’outil. Le passage au numérique s’est donc fait très naturellement pour moi. Je ne pense pas, pour autant, que l’on puisse faire n’importe quelle image avec n’importe quelle caméra. Avec une chambre, on pose un cadre. Un travail de peintre où l’on construit l’image. Avec un iPhone, on doit au contraire se déplacer autour du sujet. Ce n’est plus le même travail, plutôt celui d’un reporter.
J’utilise un Phase One que j’aime beaucoup et j’ai dernièrement acquis un 5D Mark IV - un boîtier vraiment très agréable à utiliser. Avec le numérique et les montages qui se font rapidement, on porte une réflexion nouvelle sur les images et leur composition. C’est un bon tremplin pour l’imagination, pour retranscrire une image que l’on a en tête.
J’aime d’ailleurs beaucoup Instagram pour cette raison (et mes enfants eux-mêmes me reprochent d’y aller trop souvent !) ; les réactions sont instantanées, directes : « c’est beau », « tiens, tu as rentré le ventre », etc. Instagram fait à présent partie intégrante de la communication. Et je trouve cette nouvelle manière d’aborder les images vraiment géniale. Dans nos métiers, on avait trop peu l’occasion d’avoir ce genre de retour.

- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
PG  : Photographe est une profession assez égoïste, et je travaille beaucoup. Mais je m’arrête pour mes enfants. C’est apaisant. J’adore également voyager, savoir que j’ai douze heures à passer dans l’avion et me créer une petite niche. J’aime aussi la lecture et les expos. Et je ne prends des photos que pour le travail. Prendre des photos en vacances reste toujours un peu compliqué ! J’essaye d’être spontané mais je finis souvent par dire : « Non, Colette, mets-toi plutôt là, non comme ça, oui, un peu plus à gauche… Tu devrais peut-être changer de maillot de bain ? » J’apprends à être plus détendu grâce à l’iPhone, mais la photographie, ce n’est pas ce que j’aime le plus. Ce que j’aime vraiment, ce sont les images. Et parfois les avoir simplement dans la tête me suffit.  

- Un souvenir, parmi d’autres ?
PG : Les meilleurs moments sont incontestablement liés à mes commandes de portraits pour Les Inrocks. Le portrait de Bashung, qui est venu chez moi peu de temps avant sa mort. Une journée complètement délirante avec Philippe Katherine pour l’anniversaire du magazine. Le groupe Pulp que j’ai photographié plusieurs fois (j’étais fasciné par ce groupe, et notamment par Jarvis Cocker). À chaque fois, des moments privilégiés et des rencontres extraordinaires.

- Quels sont les photographes qui vous ont donné envie de faire de la photo, qui vous ont influencé ?
PG : Jean-Paul Goude - même si ce n’est peut-être pas un photographe dans le sens propre du terme, c’est en tout cas quelqu’un qui aime les images. Annie Levovitz, Helmut Newton, Guy Bourdin. J’aime les photographes qui racontent des histoires.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quels (autres) métiers auriez-vous aimé faire ?
PG : Architecte, pilote d’avion, ébéniste.

- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
PG : Dentiste.

- Quelles sont vos drogues favorites ?
PG : Le sport et le voyage.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
PG : La peinture.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
PG : Le marketing et le business.

- Quel bruit, quel son, aimez-vous faire ?
PG : Chanter.

- Quel bruit détestez-vous entendre ?
PG : Les sirènes du boulevard Magenta.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
PG : Obama.

- Quel don de la nature aimeriez-vous posséder ?
PG : Avoir encore des cheveux.

- En quoi aimeriez-vous être réincarné(e) ?
PG : En labrador.

- À quoi sert un photographe ?
PG : Témoigner et divertir.
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une couleur ?  
PG : Bleu foncé.

 - Une saison ?
PG : Le printemps.

- Un sentiment ?
PG : L’amitié.

- Un animal ?
PG : Un cochon dinde.

- Un parfum ?
PG : La fleur d’oranger.

- Un alcool ?  
PG : Le champagne.

- Une chanson ?  
PG : Disco 2000, de Pulp.

- Un artiste ?
PG : Picasso.

- Une œuvre d’art ?
PG : Aha oe feii, de Paul Gauguin.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Philippe Garcia

Campagne Portocruz, 2013
PG : Cette image synthétise plutôt bien mon univers photographique. Il s’agit d’un portrait de femme, avec un jeu de couleurs, un peu comme une travail de peintre, et une composition architecturale : la femme est figée, ce n’est pas une femme en mouvement (je n’aime pas trop photographier les gens qui bougent !). La scène a été prise au Portugal. Sur place, à Lisbonne, il a fallu faire le choix du mannequin, prendre rendez-vous avec la styliste - les vêtements devaient tous être noirs. Et ensuite, faire le repérage, un choix très précis. La prise de vue avait lieu en automne, hélas, et il a plu tout le temps. Il a donc fallu travailler entièrement sous bâche, étendre le linge derrière le modèle, etc. Mais j’adore les contraintes ! Devoir y mettre du sien, au milieu de toutes sortes d’exigences, est pour moi quelque chose de très stimulant. Lorsque je travaillais comme assistant pour Brice Agnelli, on réalisait une seule image dans la journée ! Placer le petit miroir juste ici pour que le coin à droite prenne un petit éclat : pendant des heures il fallait verrouiller l’installation. Aujourd’hui, tu shootes une première image, et après tu fais une autre photo pour le reflet, avec exactement le même cadre. Cela va bien plus vite et au final, on obtient la même image. Il y a bien entendu des photographes que ces nouvelles méthodes doivent rendre dingues, et qui ne peuvent pas travailler ainsi… Mais moi, ce que j’aime, ce sont les images, c’est le résultat.
 

UN PHOTOGRAPHE  + UN LABO
Philippe Garcia & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
PG : Ce n’est pas un métier facile, la post-prod ! Il faut savoir écouter, lire entre les lignes, se mettre dans la tête du photographe, comprendre tout, tout de suite, réagir très vite. Ce sont ces qualités-là que je retrouve avec l’équipe de Processus.
Et Marie-Laure a toujours la pêche ; son énergie est particulièrement communicative !



Interview : Sandrine Fafet
(Janvier 2017)